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Le budget de la Sécurité sociale sauvé de justesse à l’Assemblée nationale

Adopté à treize voix près après 106 heures de débats, le budget 2026 de la Sécurité sociale expose au grand jour une majorité parlementaire sous tension, un compromis social coûteux et un système de santé sommé de se serrer la ceinture dans un contexte de déficits sociaux durablement hors de contrôle.

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Après 106 heures de débats, l’Assemblée nationale a adopté en nouvelle lecture le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2026. Le texte, déjà remanié à plusieurs reprises au fil de la navette, a finalement été validé par 247 voix contre 234, assorties de 93 abstentions. La majorité requise s’est construite autour d’une coalition hétérogène. Les groupes Renaissance, MoDem, le Parti socialiste et la plupart des députés LIOT ont soutenu le texte. Le Rassemblement national, La France insoumise et une partie des communistes s’y sont opposés. Les Républicains, Horizons et surtout les écologistes ont principalement choisi l’abstention, permettant de fait l’adoption du budget tout en marquant leurs réserves.

Ce jeu d’abstentions stratégiques confère à ce scrutin un caractère politiquement très serré, moins en raison du seul écart numérique qu’en raison de la fragilité de la coalition qui soutient l’exécutif. Pour Sébastien Lecornu, qui s’est publiquement félicité d’avoir obtenu une « majorité de responsabilité », l’enjeu était double. Il s’agissait d’abord d’adopter un budget de la Sécurité sociale sans recourir une nouvelle fois à l’article 49.3, dans un contexte de forte crispation institutionnelle. Il s’agissait également d’adresser à Bruxelles comme aux marchés financiers le signal d’un début de redressement des comptes sociaux, dans un environnement de surveillance accrue des finances publiques.

Le film d’une bataille parlementaire sous contrainte

Comme l’ensemble des projets de loi de financement de la Sécurité sociale, celui de 2026 est encadré par l’article 47-1 de la Constitution, qui impose un délai maximal de cinquante jours pour son adoption, à défaut duquel le gouvernement dispose de la faculté de l’arrêter par ordonnance. Cette contrainte a pesé sur l’ensemble des échanges, déjà marqués par l’échec de la commission mixte paritaire et par le rejet de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie par les deux chambres.

Dans les derniers jours de la discussion, les socialistes ont conditionné leur soutien à l’inscription de marqueurs sociaux forts. Ils ont obtenu la suspension de la réforme des retraites de 2023 jusqu’au 1ᵉʳ janvier 2028, des améliorations ciblées pour les retraites des mères ainsi que le rejet du gel des prestations sociales. Les écologistes, pour leur part, ont largement opté pour l’abstention, en expliquant ne pas vouloir « laisser tomber » l’hôpital tout en refusant d’assumer publiquement un budget jugé trop austéritaire. La droite, regroupant Les Républicains et Horizons, ainsi que le Rassemblement national ont voté contre, dénonçant pour les premiers un budget de renoncement et pour les seconds un texte perçu comme punitif pour les classes moyennes.

Le gouvernement a ainsi privilégié une stratégie de compromis à la carte, consentant quelques reculs symboliques sur les mesures les plus sensibles, tout en veillant à préserver l’architecture générale d’économies et de nouvelles recettes qui sous-tend l’équilibre du texte.

Ce que contient réellement le PLFSS 2026

Derrière le feuilleton parlementaire, le texte adopté se présente comme un compromis entre des gestes sociaux visibles, mis en avant par la majorité, et des ajustements budgétaires d’ampleur, plus discrets mais structurants.

Les plus sociaux sont clairement assumés par l’exécutif. La suspension de la réforme des retraites de 2023 jusqu’au 1ᵉʳ janvier 2028 gèle le relèvement progressif de l’âge légal et de la durée d’assurance. Arrachée par le Parti socialiste et confirmée à chaque lecture à l’Assemblée malgré une tentative de rétablissement par le Sénat, cette suspension constitue un symbole politique majeur. La création d’un congé de naissance au 1ᵉʳ janvier 2026 introduit une prestation nouvelle, appelée à remplacer et unifier des dispositifs existants, avec l’objectif de rendre plus lisible la période post-accouchement et de mieux couvrir le second parent. L’amélioration des retraites des mères, via une meilleure prise en compte des enfants dans le calcul de la pension de base, l’intégration des majorations de durée d’assurance dans les dispositifs de carrière longue et des bonifications spécifiques pour les fonctionnaires mères, a été adoptée presque à l’unanimité. Enfin, le rejet du gel des prestations sociales en 2026, alors que l’exécutif proposait initialement une année sans revalorisation des pensions et des minima sociaux suivie d’une sous-indexation jusqu’en 2030, a acté le refus répété de l’Assemblée d’entériner une telle « année blanche ».

En façade, le gouvernement peut ainsi se prévaloir d’un budget qu’il présente comme social, mettant en avant le congé de naissance, le renforcement des protections pour certaines retraitées et le recul sur la non-revalorisation des prestations.

En coulisses, le PLFSS 2026 s’inscrit néanmoins dans une trajectoire d’économies significatives et de nouvelles recettes ciblées. Il repose d’abord sur un plan d’économies d’environ 3,9 milliards d’euros dès 2026 proposé par l’Assurance maladie dans son rapport sur les charges et produits. Ce plan combine la réorganisation des parcours de soins pour les affections de longue durée, la normalisation des arrêts de travail, la régulation plus ferme du prix des médicaments et un renforcement des dispositifs de lutte contre la fraude. L’Ondam 2026 demeure très contraint, en particulier pour les soins de ville, ce que les syndicats de médecins qualifient déjà de budget difficilement tenable.

Le texte prévoit ensuite une contribution exceptionnelle des complémentaires santé, sous la forme d’une taxe de 2,25 % en 2026 sur les organismes concernés, destinée à dégager environ 1,1 milliard d’euros au titre de l’effort de redressement. Afin de sécuriser des recettes sans accroître le coût du travail, il inclut également une hausse ciblée de la contribution sociale généralisée sur certains revenus du capital, notamment du patrimoine et des placements, tout en préservant autant que possible l’épargne populaire. Enfin, le projet initial, largement nourri des pistes soutenues par la majorité sénatoriale, envisageait un gel du barème des allégements généraux de cotisations et la suppression de plusieurs niches sociales portant sur certains compléments de rémunération. Face au tollé suscité par la perspective de remettre en cause les avantages fiscaux et sociaux liés aux titres-restaurant, une partie de ces mesures a toutefois été édulcorée, ces derniers ayant finalement été préservés dans le texte adopté.

Le Sénat estime que le volume des mesures de redressement est passé d’environ 11,1 milliards d’euros dans la version initiale du projet à 4,7 milliards après les modifications apportées par l’Assemblée. Ce resserrement illustre un compromis dans lequel la soutenabilité budgétaire a été partiellement sacrifiée au bénéfice de l’acceptabilité sociale.

Qui gagne, qui perd ? Sociologie d’un conflit social latent

Du point de vue des partenaires sociaux, les réactions au PLFSS 2026 sont particulièrement contrastées. Les organisations patronales, consultées dès l’été sur les grandes orientations du budget, se félicitent surtout de ce que l’exécutif n’ait pas choisi d’augmenter massivement le coût du travail et se soit plutôt inscrit dans une logique consistant à faire porter l’effort sur la durée d’activité, selon la formule récurrente selon laquelle il faudrait « travailler plus » pour rétablir les comptes. Les syndicats de salariés dressent un constat exactement inverse. Ils parlent d’« année noire » et de « budget injuste », estimant que la charge de l’effort repose principalement sur les assurés, les patients et certains professionnels, au travers des arrêts de travail, des affections de longue durée, des franchises et de déremboursements ciblés, plutôt que sur une remise en question d’ampleur des allégements de cotisations patronales et des exonérations dont bénéficient les entreprises.

Dans le monde de la santé, l’hostilité est particulièrement marquée. La Fédération de l’hospitalisation privée et plusieurs syndicats de médecins dénoncent un texte élaboré sans véritable dialogue, qui confond à leurs yeux austérité et recherche d’efficience. Ils alertent sur la sous-dotation de certains secteurs jugés stratégiques, comme les maternités, la cancérologie ou la psychiatrie, et sur la fragilisation de la médecine libérale, qui demeure pourtant l’interface de la quasi-totalité des patients avec le système de soins. Dans la médecine de ville, un Ondam jugé trop bas et les mesures relatives aux arrêts de travail sont interprétés comme une quasi déclaration de guerre. Plusieurs organisations professionnelles ont déjà annoncé des journées de fermeture pour le début de l’année 2026, en dénonçant une logique qu’elles considèrent comme exclusivement comptable et déconnectée de la réalité de l’accès aux soins. Les complémentaires santé, quant à elles, mises à contribution via la taxe exceptionnelle et exposées au risque de déremboursements, avertissent que ces décisions pourraient se traduire par une hausse des primes et par l’exclusion de certains ménages modestes de contrats de qualité.

En définitive, si le gouvernement parvient à éviter une explosion sociale immédiate du côté des ménages les plus fragiles en renonçant au gel des prestations et en suspendant la réforme des retraites, il prend le risque d’un conflit durable avec les soignants et les mutuelles, dont la confiance dans la parole publique apparaît déjà très entamée.

Une Sécurité sociale structurellement déficitaire

La dureté d’une partie des mesures adoptées ne peut se comprendre qu’en les replaçant dans un environnement financier que la Cour des comptes et la DREES décrivent comme alarmant, même s’il demeure, à ce stade, théoriquement rattrapable.

Les données publiées par la DREES indiquent qu’en 2024, la consommation de soins et de biens médicaux atteint 3 723 euros par habitant, dont 2 930 euros pris en charge par la Sécurité sociale, 475 euros par les complémentaires et 292 euros directement acquittés par les ménages. Le reste à charge ne représente ainsi qu’environ 10 % de la dépense courante de santé, l’un des niveaux les plus bas parmi les pays de l’OCDE. La dépense de santé, au sens des comparaisons internationales, s’établit autour de 11,4 % du produit intérieur brut. Cette générosité relative du système français explique en partie la prudence de l’exécutif dès qu’il s’agit d’accroître directement le reste à charge, tant la sensibilité sociale demeure forte autour des franchises médicales et des déremboursements.

Dans son rapport 2025 sur la Sécurité sociale, la Cour des comptes constate une dégradation nette des équilibres et parle de perte de maîtrise des comptes sociaux. Le déficit pour 2024 est évalué à 15,3 milliards d’euros, soit 4,8 milliards de plus que prévu. Celui attendu pour 2025 s’établirait à 22,1 milliards, avec une trajectoire projetée à 24,1 milliards en 2028, sans perspective de retour à l’équilibre à moyen terme. Parallèlement, les allégements généraux de cotisations patronales ont pratiquement quadruplé entre 2014 et 2024 pour atteindre environ 77 milliards d’euros par an, compensation d’État incluse, avec un effet de plus en plus défavorable pour les comptes sociaux. La Cour recommande explicitement de reprofiler ces dispositifs dès 2026, notamment en abaissant le plafond d’éligibilité aux taux les plus favorables.

Le PLFSS 2026 s’inscrit en outre dans un contexte de finances publiques globalement sous tension. Le déficit public français demeure proche de 5,8 % du produit intérieur brut, largement supérieur aux critères qui devraient s’imposer à nouveau dans le cadre européen. Cette situation conduit Bercy à geler des crédits dans plusieurs ministères et à demander des efforts à l’ensemble des sous-secteurs des administrations publiques, dont l’Assurance maladie.

Rustine politique ou tournant structurel ?

Au terme de ce vote serré, plusieurs enseignements se dégagent pour qui souhaite proposer, dans les colonnes du Diplomate, une lecture approfondie du budget 2026 de la Sécurité sociale. Sur le plan politique, le gouvernement obtient une victoire indéniable mais fragile. Il parvient à éviter le recours à l’article 49.3 et démontre qu’une majorité de circonstance demeure possible, au prix de concessions substantielles consenties à la gauche. Il entérine de facto une nouvelle géographie parlementaire, dans laquelle les socialistes et les écologistes deviennent les pivots de compromis budgétaires, tandis que la droite parlementaire assume pleinement un rôle d’opposition sur les comptes publics.

Sur le fond budgétaire, le texte ne traite pas le problème structurel des comptes sociaux à la hauteur des alertes répétées de la Cour des comptes. Le volume d’économies nettes est sensiblement inférieur à ce qui était envisagé dans le projet initial. Les mesures les plus symboliques, comme le gel des prestations ou la remise en cause frontale des allégements de cotisations, ont été largement vidées de leur substance. La charge de l’ajustement se reporte massivement sur les professionnels de santé et sur les complémentaires, au risque de fragiliser durablement ces acteurs et de renchérir, in fine, le coût de la protection pour certains assurés.

Sur la trajectoire de la Sécurité sociale, enfin, ce budget apparaît davantage comme une rustine politiquement optimisée que comme le point de départ d’une véritable refondation. Il répond à court terme à la nécessité d’afficher un effort de redressement. Il préserve autant que possible l’acceptabilité sociale, mais au prix d’une soutenabilité encore incertaine à l’horizon 2030.

Ainsi, l’enjeu des prochains mois sera de suivre de près la réaction du Sénat et le dernier mot de l’Assemblée, la traduction concrète des économies annoncées par la Caisse nationale d’assurance maladie, ainsi que l’ampleur des conflits à venir avec les médecins, les établissements de santé et les mutuelles. C’est sans doute à l’aune de ces confrontations et de leur issue que l’on pourra dire si le PLFSS 2026 aura été un simple épisode de plus dans la gestion sous tension de la Sécurité sociale, ou le point d’inflexion d’une recomposition plus profonde de la protection sociale française.

Le Diplomate

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