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Syrie : l’abrogation de la loi César redonne espoir aux Syriens en un avenir meilleur

L’abrogation de la loi César ouvre pour la Syrie post-Assad une séquence de reconstruction porteuse d’espoir pour des millions de Syriens, mais placée sous la double exigence de justice et de garanties politiques durables.

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Depuis que la Chambre des représentants américaine a voté l’inclusion de l’abrogation de la loi César dans le National Defense Authorization Act (NDAA) pour l’exercice 2026, puis que le Sénat a suivi, la Syrie est entrée dans une nouvelle séquence politique et économique. En tournant la page de l’un des régimes de sanctions les plus emblématiques de l’ère Assad, Washington envoie un signal fort à Damas, à ses partenaires régionaux et aux millions de Syriens qui, après quatorze ans de guerre civile et un changement de régime, espéraient voir enfin desserrer l’étau économique. Pour la première fois depuis 2011, l’horizon d’un avenir moins précaire se dessine, sans pour autant effacer les enjeux de justice ni les risques de rechute. 

Adoptée à la fin de 2019 et entrée en vigueur en juin 2020, la Caesar Syria Civilian Protection Act visait à frapper au portefeuille le régime de Bachar Al-Assad et ses alliés pour les contraindre à cesser les crimes de masse commis contre la population. Baptisée du pseudonyme du photographe militaire défecteur qui avait exfiltré plus de 50 000 clichés documentant la torture et les exécutions dans les geôles syriennes, la loi étendait drastiquement le champ des sanctions américaines en ciblant non seulement les responsables politiques et militaires, mais aussi toute entreprise étrangère impliquée dans la reconstruction, l’énergie, les infrastructures ou la finance au bénéfice du régime. 

Insérée dans le NDAA 2020, la loi César contenait une clause d’extinction automatique cinq ans après son adoption, mais cette échéance a été repoussée une première fois dans un contexte où Assad, alors encore au pouvoir, continuait de contrôler l’essentiel de l’appareil sécuritaire. Pour ses promoteurs, ce durcissement devait favoriser la négociation en rendant le pays quasi inéligible aux financements internationaux et aux investissements directs étrangers. Dans les faits, si les sanctions ont contribué à isoler le régime et à dissuader de nombreux acteurs étrangers d’entrer sur le marché syrien, elles ont aussi participé à la décomposition d’une économie déjà ravagée par la guerre, en paralysant des secteurs entiers comme l’énergie ou la construction et en renforçant le pouvoir de prédateurs économiques proches du clan Assad. 

Sur le terrain humanitaire, plusieurs études, dont celles du Carter Center et du Service de recherche du Parlement européen, ont documenté les effets indirects des sanctions sur la population syrienne. Loin de se limiter aux élites, les restrictions bancaires et commerciales ont rendu plus compliquée l’acheminement de médicaments, d’équipements médicaux et de biens essentiels, en dépit de clauses d’exemption humanitaire. Banques frileuses, sur-conformité des opérateurs, hausse du coût des transactions et insécurité juridique ont alimenté une spirale de renchérissement et de rareté, au détriment des ménages déjà appauvris. 

Changement de régime et bataille politique autour de l’abrogation

La chute du régime Assad en décembre 2024, après cinquante-quatre ans de pouvoir baassiste familial et quatorze années de conflit, a profondément rebattu les cartes. L’arrivée à la présidence d’Ahmed Al-Sharaa, ancien chef rebelle devenu figure centrale de la transition, a rapidement placé la question des sanctions au cœur de la diplomatie syrienne. À la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies comme à Washington, le nouveau chef de l’État a défendu l’idée que la poursuite de la loi César, conçue pour contraindre l’ancien régime, était devenue un instrument anachronique punissant d’abord les civils et entravant la reconstruction. 

Dès le printemps 2025, la Maison Blanche avait pris des mesures ponctuelles de suspension ou d’allègement de certaines sanctions, à la faveur d’un rapprochement spectaculaire entre Damas et Washington. Des décrets présidentiels ont levé une partie des restrictions financières datant du début des années 2000, sans toutefois toucher au cœur de la loi César, qui continuait d’empêcher la plupart des grands projets d’investissement. 

L’étape décisive est intervenue avec la préparation du NDAA 2026. Au Congrès, plusieurs élus ont introduit des dispositions visant explicitement à abroger la Caesar Act, en les assortissant de garde-fous politiques. Le texte finalement adopté prévoit la fin du régime de sanctions tel que défini en 2019, mais conditionne la nouvelle relation économique à une série de certifications régulières de la part de l’exécutif américain. Washington doit ainsi attester que la Syrie continue de lutter contre les résidus de l’organisation État islamique, respecte les droits des minorités et s’abstient de toute agression non provoquée contre ses voisins. Ces conditions traduisent la volonté de transformer un instrument purement punitif en levier d’accompagnement d’une transition jugée encore fragile. 

Une normalisation diplomatique progressive sous surveillance régionale

L’abrogation de la loi César s’inscrit dans une dynamique plus large de réintégration de la Syrie dans son environnement régional. Depuis la chute d’Assad, Damas a retrouvé son siège au sein de la Ligue arabe, multiplié les visites officielles dans les capitales du Golfe et entamé, sous médiation américaine et jordanienne, des discussions sécuritaires indirectes avec Israël pour faire cesser les frappes sur son territoire. L’allégement graduel des sanctions américaines a été perçu par plusieurs partenaires arabes, notamment Riyad et Abou Dhabi, comme le feu vert attendu pour remettre sur la table des projets d’infrastructures, d’énergie et de ports qui étaient gelés depuis plus d’une décennie. 

Cette normalisation demeure toutefois encadrée. Israël, inquiet de voir resurgir dans la Syrie post-Assad des réseaux liés à l’Iran et à l’ancien appareil sécuritaire, observe avec méfiance la perspective d’un afflux de capitaux dans un pays où les lignes de fracture confessionnelles et politiques demeurent vives. De récentes investigations ont montré que d’anciens piliers du régime, exilés en Russie, tentaient de recomposer des milices et des réseaux d’influence pour peser sur le nouvel ordre syrien, alimentant la crainte d’une reconfiguration violente des rapports de force à l’intérieur même du pays. 

Dans ce contexte, la fin des sanctions César n’est pas perçue par tous comme une évidence. Des think tanks de sécurité et certains responsables occidentaux redoutent que l’abrogation ne réduise la capacité de pression sur les acteurs les plus compromis dans les crimes de guerre et ne facilite l’accès de ces derniers à des ressources financières susceptibles d’alimenter de nouvelles logiques de confrontation. 

Une reprise économique réelle mais fragile

Sur le plan économique, les signaux de détente sont pourtant tangibles. Le gouverneur de la Banque centrale syrienne a annoncé début décembre que la croissance de 2025 dépassait nettement l’estimation d’un pour cent établie par la Banque mondiale. Selon lui, l’allègement progressif des sanctions et le retour d’environ un million et demi de réfugiés ont créé un effet d’entraînement dans des secteurs comme la construction, les services et l’agriculture. Le gouvernement travaille avec le Fonds monétaire international à la refonte de son cadre statistique et à la modernisation de la régulation bancaire, avec pour horizon la relance d’une monnaie expurgée de deux zéros et la construction d’un écosystème de paiements numériques en partenariat avec des acteurs internationaux. 

Cette embellie macroéconomique reste cependant à relativiser à l’échelle d’une société où plus de 80 à 90 % de la population vit encore sous le seuil de pauvreté, selon des estimations d’ONG et d’organismes internationaux, et où les infrastructures de base ont été gravement atteintes par des années de combats et de pénuries. Les retours d’exilés, abondamment mis en scène par les autorités, se heurtent à la réalité d’un tissu urbain et rural détruit, d’un marché du travail exsangue et de services publics largement dépendants de l’aide internationale. Les témoignages de familles revenues de Turquie, du Liban ou de Jordanie évoquent à la fois le soulagement de rentrer au pays et la dureté d’une vie quotidienne faite de logements précaires, de coupures d’électricité et d’accès aléatoire à l’eau potable. 

L’abrogation de la loi César ouvre ici une fenêtre d’opportunité. En levant un des principaux obstacles juridiques et financiers à l’engagement des bailleurs et des investisseurs, elle peut contribuer à déclencher des projets de reconstruction d’ampleur, à condition que ceux-ci soient encadrés par des mécanismes de transparence et de redevabilité capables d’éviter la capture des bénéfices par de nouveaux oligopoles politico-économiques.

Sanctions, humanitaire et justice : un débat qui ne disparaît pas

Depuis plusieurs années déjà, des ONG de défense des droits humains et des experts des régimes de sanctions plaidaient pour une révision profonde de l’architecture coercitive visant la Syrie. Human Rights Watch, parmi d’autres, alertait sur le fait que des mesures conçues pour éviter de financer l’appareil répressif avaient, dans la pratique, contribué à aggraver l’insécurité alimentaire, à entraver la reconstruction des systèmes de santé et à fragiliser encore davantage les populations les plus vulnérables. Des ateliers et rapports du Carter Center ont également montré comment la complexité des exemptions humanitaires et la peur de contrevenir aux règles américaines décourageaient banques et fournisseurs d’opérer dans le pays, même lorsque les opérations étaient a priori licites. 

Pour autant, le camp de ceux qui mettent en garde contre une levée trop rapide des sanctions ne s’est pas volatilisé. Des organisations syriennes de la société civile et des think tanks régionaux insistent sur le fait que la justice transitionnelle ne peut être sacrifiée sur l’autel de la reconstruction. La fin de la loi César ne doit pas signifier l’oubli des centaines de milliers de victimes des bombardements indiscriminés, de la torture systématique et des disparitions forcées sous Assad. Des voix réclament que l’abrogation s’accompagne d’un renforcement des poursuites pénales engagées en Europe au titre de la compétence universelle, de la mise en place de mécanismes de vérité et de réparation, ainsi que de garanties fermes quant à l’exclusion des anciens tortionnaires des circuits de financement internationaux. 

Le fait que l’ONU elle-même, par la voix de son Haut-Commissaire aux droits de l’homme, ait appelé à reconsidérer des sanctions jugées trop coûteuses pour la population tout en rappelant l’exigence de justice et de réconciliation, illustre bien la tension centrale de cette nouvelle phase : comment desserrer l’étau économique sans relâcher la pression normative sur ceux qui ont commis ou cautionné des crimes de masse. 

La figure de « Caesar », entre mémoire des crimes et soutien conditionnel à la levée des sanctions

Le destin du photographe militaire connu sous le pseudonyme de “Caesar” cristallise cette tension. C’est son archive de dizaines de milliers de photographies de détenus torturés et exécutés, exfiltrée au péril de sa vie entre 2011 et 2013, qui avait servi de socle visuel et moral à la loi César. Longtemps resté dans l’ombre, l’homme a révélé son identité au grand jour en 2025, en expliquant publiquement pourquoi il estime aujourd’hui que le maintien du dispositif de sanctions n’est plus adapté au contexte politique syrien. 

Tout en rappelant que les images qu’il a produites continueront de nourrir les dossiers judiciaires contre les responsables du système de torture, “Caesar” plaide désormais pour la levée des sanctions globales au profit de mécanismes ciblant individuellement les criminels de guerre et leurs réseaux financiers. Dans ses interventions, il insiste sur la nécessité de donner une chance à la nouvelle Syrie de se reconstruire, de permettre aux familles des victimes de vivre dans la dignité et de ne pas vouer une génération entière à l’exil ou à la misère au nom d’une justice qui resterait abstraite. Son évolution incarne le glissement d’un paradigme de pure coercition vers une approche plus nuancée, qui associe impératif de mémoire et exigence de perspectives économiques. 

Un espoir réel à la hauteur des conditions posées

Dire que l’abrogation de la loi César redonne espoir aux Syriens en un avenir meilleur n’est ni un slogan creux ni une promesse acquise. C’est la description d’un moment charnière, où plusieurs trajectoires se croisent. D’un côté, l’ouverture d’un espace économique et diplomatique qui n’existait plus depuis le début de la guerre, la perspective de retours supplémentaires de réfugiés, la possibilité pour des entreprises et des bailleurs de s’engager sans redouter un risque juridique exorbitant. De l’autre, la permanence de fragilités structurelles, la présence d’anciens réseaux du régime à la manœuvre, la tentation pour certains acteurs régionaux de instrumentaliser la reconstruction syrienne à des fins de projection de puissance. 

L’avenir dépendra largement de la manière dont seront gérées les marges ouvertes par l’abrogation. Si les autorités syriennes parviennent à articuler reconquête économique, inclusion politique des minorités, consolidation d’institutions plus transparentes et engagement crédible dans des processus de justice transitionnelle, la fin de la loi César pourra être l’un des jalons d’une véritable sortie de guerre. Si, au contraire, la levée des sanctions se traduit par la simple reconversion d’anciens prédateurs, la captation de rentes et la marginalisation des victimes, elle nourrira inévitablement de nouvelles frustrations et, avec elles, la tentation de recourir une nouvelle fois à l’outil des sanctions.

Pour l’heure, dans les rues de Damas, d’Alep ou de Homs, l’abrogation de la loi César est d’abord perçue comme une brèche dans un ciel longtemps bouché. Une brèche par laquelle peuvent s’engouffrer des investissements, des emplois, des retours, mais aussi des exigences de justice et de réforme. L’enjeu, pour la Syrie comme pour ses partenaires, sera de veiller à ce que cette brèche ne se referme pas sur une nouvelle désillusion, mais qu’elle s’élargisse en horizon durable d’un avenir effectivement meilleur.

Le Diplomate

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